Hervé Bernard, à la frontière entre l’hyperréalisme et la figuration narrative

Publié le mercredi 29 juin 2016 à 09h12

Ileana Cornea Paris,  mars 2016

Critique d’Art. Journaliste à ARTENSION

«  La peinture est donc l’art d’imiter ? – Pas autre chose. Si elle n’était pas cela, elle ne ferait qu’un ridicule amas de couleurs assemblées au hasard.  »  Philostrate

 

Sœur jumelle de la photographie, la peinture hyperréaliste est née aux Etats-Unis à la fin des années 60, en réaction au dictat de la peinture abstraite. Travail  d’observation, de minutie et de savoir faire, l’artiste renoue avec le métier. Il lui faut du temps et de la patience. Dans ses couleurs, ses thématiques et ses aspirations l’époque s’y mire comme dans un miroir.

Plus de 45 ans séparent le couple de touristes assoupis (« Un jour au MET ») peints par Hervé Bernard des sculptures de l’artiste américain des années 1970 Duane Hanson. Le même sujet, le même souci du détail les réuni. L’idéologie les sépare. Le sculpteur américain érige l’effigie de ses modèles en icônes de la société de consommation qu’il critique, le peintre européen pose sur le couple de touristes anonymes un regard analytique attentif et tendre. Leurs attitudes sont détendues et touchantes, les blessures sur le visage du vieil homme le singularise, c’est lui et personne d’autre.  Par l’effet de la prise de vue, à l’arrière plan, le visage du passant et les cheveux d’une visiteuse restent flous. La photographie hante sa peinture, réveillant le souvenir.

Toucher la réalité après l’avoir perdue constitue l’essentiel de son travail. Le même autrefois présent est désormais un autre. En fixant l’image volée par l’objectif par la couleur et la matière, l’artiste réalise la fiction. Entre le modèle et l’artiste une empathie particulière s’installe,  renforcée par un travail subjectif de mémoire.

Contrairement aux pionniers de l’hyperréalisme américain comme Don Eddy, Ralph Goings ou des artistes contemporains qui fragmentent et stigmatisent la réalité en la rendant quasi irréelle, froide et objectale, l’artiste français dirige son attention sur l’aspect émotionnel et existentiel de ses personnages. Il analyse minutieusement leur extériorité protégée, singularisée par le vêtement, les couleurs qu’ils portent et qui les signifient. La description de leurs attitudes et de tous les menus détails qui les distinguent, les entoure, cerne leur silence, leur solitude et leur mystère : sanglée dans un harnais d’escalade, une femme, les cheveux au vent regarde la mer en haut d’une falaise. Arriver à de telles hauteurs n’est pas donné à n’importe qui.  La mer est traitée avec fougue, les blancs mélangés aux bleus traduisent l’écume, leur tourment rappelant la  Vague d’Hokusai.

Ses personnages sont placés dans des situations limites, en bordure d’un danger potentiel : une petite femme de dos, ses chevilles protégées, marche à l’orée du bois dans Central Park à New York. La lumière est forte, l’ombre la tempère. Au loin, à droite, les gratte-ciel s’estompent dans l’atmosphère moite de l’été. A la mode de vieilles femmes asiatiques, elle porte un chapeau blanc, un pantalon violet confectionné dans un tissu fluide soyeux et confortable, une veste verte sans manches et une chemise orange,  rend le tableau très pictural.  Elle ne s’aventure pas sur la voie  principale… Et c’est justement ce qui a frappé l’artiste. Il y a toujours des petites énigmes à résoudre lorsqu’on déchiffre les images d’Hervé Bernard.

« Wall Street », est construite cinématographiquement. La rue où le « golden boy » évolue, aussi réelle soit-elle, apparaît comme un décor où les ombres et les lumières constituent une composition aux accents dramatiques hopperienne.

A l’interstice de l’urbanité, de la nature et du rêve, les situations ne sont jamais figées. Parfois des mots, des phrases, des signes augmentent la communicabilité de l’image (Elle s’en moque) mais apparaissent aussi comme des échappatoires tendus à l’introversion de ses personnages de telle sorte que leur solitude peut être rompue à n’importe quel moment. Il suffirait qu’ils s’en aperçoivent.  Une affiche fantastique peut les distraire, une voiture qui roule à proximité  peut les faire sursauter, les lumières allumées dans la nuit les faire rêver (Le facteur d’orgue).

 

Entre la figuration narrative et la peinture hyperréaliste, Hervé Bernard a trouvé sa place. 

« Il y a des gens qui pensent qu’à partir d’une photographie on ne peut faire qu’une peinture. Mais on peut faire autant de peintures d’après une photo que d’après la vie réelle  » écrit Chuck Close.

 

  • Un jour au MET
  • WALL STREET
  • Elle s'en moque
  • Le facteur d'orgues
  • Jusqu'à la rive